ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE - Histoire de la famille et de la sexualité

ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE - Histoire de la famille et de la sexualité
ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE - Histoire de la famille et de la sexualité

Les historiens ont pendant longtemps considéré l’histoire de la famille comme un domaine de recherche mineur, voire marginal, voué à l’érudition nostalgique et réactionnaire. Des érudits comme Charles de Ribbe, Alfred Leroux ou Tamizay de Larroque retraçaient l’histoire des grandes familles pour retrouver en elles l’illustration des valeurs que la Révolution française et l’industrialisation avaient ruinées. Ces histoires particulières dénonçaient les choix de l’histoire nationale.

L’état des sources entretenait l’élitisme de ces histoires familiales. Seules les grandes familles dotées d’importants patrimoines et imprégnées depuis des siècles de culture écrite avaient des fonds d’archives abondants (documents généalogiques, papiers notariés, correspondance, livres de raison ou mémoires, etc.) qui permettaient de reconstituer leur histoire. C’est l’exploitation d’un nouveau type de source, les registres paroissiaux (l’ancien état civil) qui, depuis les années cinquante, a élargi l’horizon de l’histoire de la famille et en a fait un objet de recherche majeur.

La reconstitution des familles

Un démographe historien, Louis Henry, qui avait été, avec Pierre Goubert et Jean Meuvret, l’un des premiers à montrer le parti qu’on pouvait tirer des registres paroissiaux, inventa la méthode dite de «reconstitution des familles», pour analyser de façon précise l’évolution de la fécondité. Il s’agissait de reconstituer, avec le plus de précision possible, l’histoire biologique d’une famille en mentionnant la date du mariage et l’âge des conjoints, le sexe, la date de naissance (et au besoin de décès) des enfants; et si l’union avait été interrompue par la mort d’un des conjoints avant la fin de la période de fertilité de la femme, d’en mentionner également la date. Des milliers de familles qui n’avaient jamais fait parler d’elles, des familles appartenant à tous les milieux sociaux, composant la matière obscure, le corps profond de la société, se trouvèrent brusquement placées sous le regard de l’historien.

Cette méthode nouvelle n’a pas seulement ruiné la conception traditionnelle de l’histoire familiale, qui conférait aux groupes privilégiés une sorte d’historicité supplémentaire faite d’anecdotes et de fables édifiantes, elle a modifié l’image même que l’historien avait de la réalité sociale. Au lieu de l’imaginer comme une fédération conflictuelle de groupes d’intérêts ou comme un ensemble d’institutions, l’historien perçoit désormais la juxtaposition et l’agencement d’une multitude de cellules vivantes, identifiables à la fois par leur activité biologique, économique et affective.

La reconstitution des familles avait été conçue pour analyser les mécanismes démographiques. Qu’il s’agisse du retard de l’âge au mariage à partir du XVIIe siècle, de la baisse de la mortalité infantile dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle ou de l’apparition du contrôle des naissances à peu près à la même époque, aucune des mutations importantes du régime démographique mis en évidence par cette micro-observation à partir des familles reconstituées ne peut s’expliquer par le simple jeu des mécanismes démographiques. Ces mutations correspondent à des changements de comportement, c’est-à-dire à une transformation de la vie familiale: de ses rôles sociaux, de son éthique et des règles qui régissent les rapports entre conjoints, entre parents et enfants, etc.

Choisie par le démographe comme un micro-observatoire particulièrement commode, la famille est devenue pour l’historien l’objet principal de l’observation. Mais quelle famille? Les familles «reconstituées», réduites au noyau conjugal – le couple et les enfants – et à sa dimension purement biologique, n’ont qu’un lointain rapport avec les familles des sociétés d’Ancien Régime dont elles proposent une sorte d’épure démographique. Elles ne correspondent ni à la physionomie réelle que présentaient ces groupes familiaux, ni à la façon dont ils se percevaient eux-mêmes. Or l’intérêt d’une recherche historique sur la famille est justement de montrer en quoi la structure nucléaire actuelle, sur laquelle repose l’organisation familiale, est un produit de la modernité ou de la longue durée. Frédéric Le Play, l’un des pères de la sociologie française, était persuadé que la Révolution française et la civilisation industrielle avaient détruit le modèle patriarcal de la famille-souche qui avait assuré pendant des siècles la stabilité de notre société. Ce modèle, qu’il avait recherché à travers de multiples enquêtes et qu’il avait cru retrouver à l’état de vestige chez les paysans pyrénéens, consistait à désigner à chaque génération un seul héritier, en général l’aîné, qui reprenait en charge l’exploitation familiale. Ses frères et sœurs devaient, soit aller s’établir ailleurs par mariage ou par d’autres formes d’émigration, soit accepter de se mettre au service de l’héritier et rester sur l’exploitation comme simples employés. Ce système préservait l’unité du patrimoine et de l’autorité. Il était un gage d’harmonie pour l’exploitation où il faisait régner l’esprit de famille et le sens du dévouement. Il favorisait enfin les grandes maisonnées polynucléaires: l’héritier qui attendait de reprendre l’exploitation à la mort de son père, et parfois d’autres enfants, qui avaient choisi de rester sur la terre familiale, cohabitaient – avec femmes et enfants – avec leurs parents.

Famille nucléaire ou famille élargie?

Le souvenir nostalgique des grandes familles d’antan, véhiculé par la mémoire collective et les folkloristes de la fin du XIXe siècle, semblait donner raison à Le Play. Mais les premières études systématiques sur la taille et la dimension des familles, faites par les historiens démographes à partir des recensements et d’autres sources statistiques, ont révélé qu’il s’agissait en grande partie d’un mythe. Peter Laslett, en particulier, a pu montrer que dès la fin du Moyen Âge, en Angleterre, aux Pays-Bas et dans la France du Nord, la famille nucléaire dominait. La France du Sud, en revanche, et l’Italie ont connu jusqu’au début de l’ère industrielle les grandes maisonnées où plusieurs couples cohabitent avec leurs enfants, sans parler des Balkans ou se sont maintenues jusqu’au milieu du XXe siècle les zadruga , ces énormes communautés familiales aux dimensions d’un clan, vivant sous le même toit et sous l’autorité du patriarche.

Dans l’Europe septentrionale, des coutumes d’héritage plus égalitaires, et l’usage du bois (ou d’autres matériaux bon marché) pour les habitations, ont pu accélérer l’établissement des jeunes mariés hors du foyer paternel. En revanche, le droit préciputaire, majoritaire dans la France du Sud, et l’habitude de construire en pierre valorisaient l’autorité paternelle et l’attachement à l’oustal ; la demeure ancestrale était symbole de la permanence et, pourrait-on dire, de l’immortalité du lignage.

Les travaux de Peter Laslett et du groupe de Cambridge ont suscité de nombreuses critiques. Des historiens comme Lutz Berkner ont estimé que les recensements ne fournissaient que des instantanés qui dissimulaient l’évolution cyclique des groupes familiaux. Or dans beaucoup de pays (en Angleterre, en France, en Allemagne, en Italie, etc.), jusqu’au XIXe siècle, la coutume était de placer très tôt les enfants hors de la famille, pour leur apprendre un métier. À dix ans de distance, la même famille pouvait donc présenter sur les recensements un profil tout à fait différent: supposons un premier recensement quelques années après le mariage: le jeune couple, ayant plusieurs enfants en bas âge, cohabite avec les parents en attendant de prendre la relève. Ce ménage appartient au modèle de la famille élargie. Dix ans après, les parents sont vraisemblablement morts, plusieurs enfants sont placés dans d’autres familles. Le même couple constitue maintenant une famille nucléaire de taille réduite. Dix ans plus tard, le fils aîné, marié et déjà père d’un ou de deux enfants, cohabite avec les parents et quelques frères et sœurs plus jeunes qui doivent bientôt se marier. En trente ans, la même famille est passée de la structure élargie à la structure réduite pour revenir enfin à une structure étendue.

On peut se demander également si les périodes de dépression démographique et d’insécurité politique ne favorisèrent par les regroupements en puissantes communautés familiales, alors que les périodes d’expansion et de renforcement de l’État ont incité au desserrement des liens familiaux et à la multiplication des familles réduites. Dans la classe seigneuriale du Mâconnais au XIe siècle, Georges Duby constate un renforcement de liens lignagers. De la même manière, Emmanuel Le Roy Ladurie observe chez les paysans du Languedoc au XVe siècle la constitution de nombreuses «frérèches», où plusieurs frères ayant femmes et enfants décident de vivre ensemble «à même pot et à même feu». Au XIe siècle comme au XVe siècle, la dissolution de l’appareil étatique provoque le repli sur les solidarités du sang. Quand l’État faiblit ou s’effondre, la famille se fait bastille. La dépression démographique du bas Moyen Âge fait baisser en outre le prix de la terre et monter le prix du travail. Au siècle de l’«homme rare», les paysans, qui se réinstallent sur les terres désertées, s’efforcent de rassembler une importante main-d’œuvre familiale pour éviter le travail salarié devenu hors de prix.

Les ethnologues enfin contestent la valeur des recensements pour l’étude des structures familiales. Non seulement les familles avaient tendance à adapter leurs déclarations au cadre fiscal qu’on leur proposait et dans les formes qui leur étaient le plus avantageuses, mais le mode de cohabitation n’est qu’une manière très incomplète d’appréhender les liens familiaux. Il serait hasardeux de considérer a priori la famille étendue comme un modèle archaïque et autoritaire, et la famille nucléaire (réduite à la cellule conjugale) comme un modèle nécessairement moderne, souple et démocratique. Des études sur l’industrialisation de l’Angleterre ont pu montrer qu’au début du XIXe siècle la taille et la structure des ménages ouvriers en ville étaient nettement plus étendues que celles des paysans des régions avoisinantes.

Un groupe familial ne se réduit pas nécessairement aux individus qui vivent sous un même toit. Il se définit autant par les relations entre les cohabitants que par celles qu’ils entretiennent avec le voisinage. Dans la France d’Ancien Régime, les communautés paysannes du Bassin parisien, où triomphe la famille réduite, présentaient des structures familiales aussi contraignantes et aussi fortes que les grands oustals des campagnes du Sud-Ouest. L’importance des usages communautaires et de l’endogamie, qui rendait pratiquement indistinctes les relations de parenté et les relations de voisinage, étendait la sphère familiale aux dimensions du village.

Plus que la dimension ou la structure des ménages, ce qui semble opposer, depuis le Moyen Âge, les grandes maisonnées du Midi et les petits foyers conjugaux du nord-ouest de l’Europe, c’est le degré d’opacité entre leurs relations de parenté et leurs relations sociales. Comme Emmanuel Le Roy Ladurie l’a fort bien décrit, à propos d’un village pyrénéen à la fin du XIIIe siècle, pour le paysan occitan le lien de parenté remplace et même exclut le lien social. Il appartient à sa maison dans la mesure où elle est comme l’enveloppe charnelle et le corps permanent du lignage. La société s’arrête au lignage et le seul moyen d’étendre ses relations, c’est de se lier aux autres par mariage ou compérage.

Dans les communautés paysannes de la France du Nord où les modestes masures de bois ou de torchis se jouxtent et s’alignent au centre du terroir, chacun additionne ses «amis» et ses «parents» (les deux mots ont eu pendant longtemps à peu près le même sens); intermariage et prestations réciproques immergent en permanence la cellule familiale dans la société proche.

La mémoire paysanne ne se trompe pas, même si la nostalgie, qu’elle inspire à nos âmes citadines frustrées de sociabilité, tourne facilement à l’utopie réactionnaire. Les grandes familles d’antan ont bien existé, mais pas nécessairement sous la forme spectaculaire de ces «communautés taisibles» du Bourbonnais que les hommes du XVIIIe siècle considéraient déjà comme d’étranges fossiles qui les faisaient rêver. Que la famille fût réduite ou étendue, elle se prolongeait dans le milieu environnant. Ce qui nourrit notre nostalgie et inspire largement le regain d’intérêt pour l’étude de notre passé familial, ce n’est pas la diminution de la taille des familles, mais la disparition des solidarités locales qui prolongeaient l’univers familial et répondaient à tous ses besoins sociaux.

L’État et la famille

Rivée à la société proche, chaque cellule familiale semblait assurer à ses membres, du berceau à la tombe, une prise en charge totale. L’histoire de la famille en Europe occidentale se confond, depuis la fin du Moyen Âge, avec le développement de l’État qui dépouille progressivement les solidarités locales de tous les pouvoirs de contrôle et d’assistance qu’elles exerçaient sur la vie familiale: justice, état civil, éducation, assistance médicale, protection sociale sécrètent des institutions spécialisées qui tissent entre l’État et la famille une multitude de liens abstraits et directs. Dès le XVIe siècle, la monarchie française élabore toute une législation, réglementant les mariages, qui double et renforce le contrôle ecclésiastique. «Les familles sont les séminaires des nations», déclare un édit de Louis XIII.

Il est inexact de prétendre, comme on l’a fait parfois, que l’État a détruit la famille. Il s’est appuyé sur elle au contraire entre le XVIe et le XIXe siècle pour domestiquer la société. L’effort d’éducation de la réforme catholique, par exemple, tel qu’il s’exprime à travers des mouvements comme les «petites écoles» de Jean-Baptiste de La Salle, visait à discipliner les milieux populaires, à les moraliser en agissant sur les enfants. Ceux-ci étaient incités, en particulier, à dénoncer leurs parents quand ils ne remplissaient pas leurs obligations religieuses. On pourrait faire la même analyse pour l’encadrement sanitaire qui se met en place dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, faisant du médecin un «contrôleur social», rival du prêtre, ou pour les œuvres d’assistance sociale en faveur du prolétariat urbain au XIXe siècle, étudiées récemment par Isaac Joseph et Philippe Fritsch, ainsi que par Philippe Meyer.

Cette étatisation de la vie familiale s’est appliquée d’abord aux milieux populaires réputés dangereux ou démunis, puis, sous l’effet du succès ou de la logique élitaire, elle s’est diffusée à l’ensemble du corps social. On peut le constater pour le système hospitalier, réservé aux pauvres jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Naître ou mourir à l’hôpital était encore au début du XIXe siècle l’indice même de la misère. L’encadrement scolaire a connu la même évolution. Les ancêtres de nos écoles maternelles, les «salles d’asile», furent créées à la fin du siècle dernier, à une époque où la prime éducation était laissée à la compétence des parents, pour arracher aux dangers de la rue les petits enfants des milieux ouvriers que leurs mères abandonnaient à eux-mêmes pendant qu’elles étaient à l’usine. Aujourd’hui les maternelles trouvent leur clientèle la plus enthousiaste dans la bourgeoisie et les classes moyennes.

Ce qu’on attribue bien souvent à un dépérissement de la vie familiale ne provient en fait que de la disparition des sociabilités locales qui empêchaient les familles de se replier sur elles-mêmes. Il y aurait quelque naïveté à présenter l’essor de l’État comme une pure entreprise de destruction. En détruisant tous les micropouvoirs, tous les regroupements locaux, il a isolé les cellules familiales et les a dépossédées de leurs principales fonctions. Mais il les a «civilisées». En leur imposant ce repli sur le «triangle œdipien», il a valorisé les relations affectives entre conjoints, comme entre parents et enfants. Philippe Ariès a montré dans les attitudes à l’égard de l’enfant l’ambivalence de cette transformation qui développe à la fois le sens de la règle et le respect de la vie. Edward Shorter a émis l’hypothèse, à la fois séduisante et contestable, que la mise en place du capitalisme avait provoqué, avec la libération du marché du travail, l’émancipation du couple. Ce couple ainsi promu aurait été l’agent principal de la modernisation de la famille, qui, cessant d’être un sanctuaire de contraintes et de traditions, serait devenue le lieu privilégié de l’épanouissement sentimental, puis plus récemment encore de l’épanouissement sexuel.

Sexualité et contraception

L’Occident, comme le rappelait Michel Foucault dans un livre brillant, a installé la sexualité, depuis l’apparition du christianisme, dans une situation paradoxale. Non seulement il l’a frappée de multiples interdits – comme presque toutes les civilisations – mais il a édifié, sur la peur et le désir de transgresser ces interdits, un interminable discours où le plaisir d’avouer et de faire dire est devenu une composante, sinon le ressort essentiel, du plaisir sexuel lui-même. De la même façon, on pourrait dire qu’il a établi entre la sexualité et la famille une relation de profonde ambiguïté. Le plaisir sexuel, sur lequel pèse la tare du péché originel, n’est justifié aux yeux de l’Église que dans la mesure où il permet la reproduction de l’espèce. C’est pourquoi il n’y a de sexualité permise que dans la vie conjugale; ce qui est une façon de valoriser le couple au sein de la famille.

Non seulement les censeurs ecclésiastiques prohibent toute activité sexuelle extra-conjugale, mais dans la vie conjugale elle-même ils veillent à ce que le plaisir sexuel ne puisse se libérer de sa finalité reproductrice: ils interdisent les rapports sexuels trop amoureux comme les rapports non féconds. Le «péché d’Onan», et en particulier le «coït interrompu», qui était la technique contraceptive la plus connue, est la cible des théologiens. Nous disposons à cet égard, sur les conceptions religieuses en matière de sexualité, d’une abondante littérature ecclésiastique, des «pénitentiels» du haut Moyen Âge aux guides de confesseurs et aux traités théologiques de l’Église post-tridentine. Mais que savons-nous des comportements? Ces interdits étaient-ils tous connus et observés? Pour la France du milieu du XVIIe siècle, la bonne tenue des registres paroissiaux permet à l’historien de répondre. Une grande discipline sexuelle semble régner dans les campagnes, qui présentent, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, des pourcentages très faibles de naissances illégitimes ou de conceptions prénuptiales, ainsi qu’une fécondité ignorant les pratiques contraceptives.

Ces dernières, connues et largement diffusées dans les sociétés grecque et romaine, ont été, selon Philippe Ariès, oubliées sous l’effet de l’interdit religieux. Elles sont devenues «impensables». Leur redécouverte à l’époque contemporaine représente, selon lui, une mutation irréversible des comportements. On avait cru d’abord que c’était la Révolution française qui avait permis une diffusion du contrôle des naissances plus précoce en France que dans le reste de l’Europe. La déchristianisation et le brassage culturel, que l’instauration du service militaire avait provoqués dans la population masculine, auraient été les deux artisans de cette diffusion en milieu populaire.

Les nombreux travaux de démographie historique publiés à partir des années soixante-dix ont conduit à faire remonter beaucoup plus haut l’introduction du contrôle des naissances. Il est attesté depuis la fin du XVIIe siècle dans certains secteurs, aristocratiques, comme les ducs et pairs de France, ou dominés par l’éthique protestante, comme la population genevoise. Il est répandu dès le milieu du XVIIIe siècle dans les villes du Bassin parisien et un peu plus tard dans les campagnes. La diffusion du contrôle des naissances n’est pas un indice de libertinage contrairement à ce que prétendaient les populationnistes du XVIIIe siècle; elle a souvent touché en priorité des populations particulièrement austères. Mais elle est certainement l’indice d’une volonté de soustraire la vie conjugale au contrôle de l’Église et à ses normes. En France, la contraception semble s’être d’abord diffusée dans les campagnes, travaillées par le jansénisme antisacramentel.

Avant cette laïcisation des comportements, que nous révèle l’analyse des registres paroissiaux, l’Europe chrétienne a-t-elle pieusement ignoré le malthusianisme? Rien n’est moins sûr. En Angleterre, si l’on en croit l’étude du village de Colyton – mais un village ne fait pas tout un peuple –, le contrôle des naissances apparaît dans la seconde moitié du XVIIe siècle, puis disparaît au XVIIIe siècle. En Sicile, la crise du XVIIe siècle semble avoir entraîné chez les paysans une restriction brutale des naissances. Aux XVe et XVIe siècles en Italie comme en France, prédicateurs et confesseurs affirment que de nombreux couples «trompent la nature». La démographie austère, que nous présentent les registres du XVIIe, serait donc un phénomène récent, imputable en grande partie au gigantesque effort d’encadrement religieux. La fermeture des maisons de prostitution dès le XVIe siècle, la baisse de l’illégitimité, le retard des mariages et l’absence de contraception feraient partie d’un même ensemble. Un climat plus permissif à partir du milieu du XVIIIe siècle fait remonter le taux des naissances illégitimes et des conceptions prénuptiales.

L’apparition du contrôle des naissances a une autre signification. L’ascétisme imposé par les autorités religieuses incitait à une plus grande maîtrise des pulsions. La morale conjugale qu’elles prêchaient inspirait le respect de la femme et valorisait le couple. L’Église à donc largement, et involontairement, façonné le climat culturel dans lequel pouvait s’épanouir la contraception.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Нужно решить контрольную?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • ANTHROPOLOGIE HISTORIQUE - Histoire de l’enfance — C’est à partir de 1960, avec la publication du livre pionnier de Philippe Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime , que l’enfance devient véritablement objet d’histoire. Depuis lors, ses progrès ont été stimulés par les… …   Encyclopédie Universelle

  • HISTOIRE — LE MOT d’histoire désigne aussi bien ce qui est arrivé que le récit de ce qui est arrivé; l’histoire est donc, soit une suite d’événements, soit le récit de cette suite d’événements. Ceux ci sont réellement arrivés: l’histoire est récit… …   Encyclopédie Universelle

  • ANTHROPOLOGIE POLITIQUE — L’anthropologie politique poursuit un projet fort ancien orientant déjà la réflexion d’Aristote dans sa Politique : la définition de l’homme en tant qu’être «naturellement» politique. Elle apparaît, sous sa forme moderne, comme une discipline de… …   Encyclopédie Universelle

  • Histoire de l'homme occidental — L’histoire de l’homme occidental est l’étude des faits qui concernent l’identité culturelle de l’homme occidental à travers son histoire. Elle évacue toute composante événementielle dans le but d’illustrer comment ce dernier a évolué dans ses… …   Wikipédia en Français

  • Homoparentalité — Famille homoparentale. L homoparentalité désigne le lien qui attache un enfant à un couple d homosexuels en tant que parents. Comme la famille recomposée, elle connait la coexistence des parents biologiques et des parents civils. Sommaire …   Wikipédia en Français

  • Sigmund Freud — « Freud » redirige ici. Pour les autres significations, voir Freud (homonymie). Sigmund Freud Sigmund Freud par Max …   Wikipédia en Français

  • Féminisme — Célébration de la Journée internationale des droits de la femme au Bangladesh, à l initiative d un syndicat de travailleuses (2005) …   Wikipédia en Français

  • MARIAGE - Mariage et couple — Tenir un discours cohérent, raisonné, réflexif sur la notion de mariage relève de la gageure philosophique. Aux difficultés théoriques inhérentes au problème de la régulation de l’affectivité s’ajoute la difficulté toute particulière… …   Encyclopédie Universelle

  • Psychohistoire — Pour l usage que fait Isaac Asimov du terme en science fiction, voir psychohistoire (fictive). La Psychohistoire est l étude des motivations psychologiques des évènements historiques[1]. Elle essaie de combiner les concepts de la psychothérapie… …   Wikipédia en Français

  • Irène Théry — Pour les articles homonymes, voir Théry. Irène Théry est une sociologue française, née à Aix en Provence en 1952. Sommaire 1 Biographie 2 Participation au débat public …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”